Chopin

Texte publié par André Peyrègne

 

CHOPIN : « MA CELLULE A LA FORME D’UN GRAND CERCUEIL »


Cela faisait des semaines qu’il toussait. Ses poumons s’épuisaient tandis que ses mains continuaient à courir sur le clavier.

Frédéric Chopin ignorait encore, à ce moment, qu’il était atteint de cette maladie « romantique » qui allait contaminer les textes de Musset, de Balzac ou de Hugo et qui ferait mourir Mérimée, Edgar Poe, les sœurs Brontë ou la Traviata : la tuberculose. Dans le langage élégant on l’appelait la phtisie.


Cette maladie allait le ronger pendant onze ans. Il apprendrait à vivre avec elle, il l’apprivoiserait comme Baudelaire le faisait avec sa douleur (« Sois sage, ô ma douleur, et tiens toi plus tranquille ! »). Elle attiserait son inspiration et teinterait de mélancolie ses « Valses » ou ses « Nocturnes ». Il en mourrait en 1849 à l’âge de 39 ans.

Pour le moment, à l’automne 1838 George Sand, qui venait d’entrer dans sa vie, décida d’aller l’isoler sous le soleil des Baléares en compagnie de ses enfants Maurice, 15 ans, et Solange, 10 ans, ainsi que leur domestique Amélie. Ils accostèrent à Majorque à bord du « Mallorquin ».

Là, il fallut se loger. Aucun hôtel n’était libre. Le consul de France les dirigea vers une maison à louer près de Palma. Le nom de la villa était peu engageant pour quelqu’un qui crachait ses poumons : « La maison du vent ».


Mais Chopin s’y sentit bien : « Le ciel est turquoise, écrira-t-il plus tard à l’un de ses amis, la mer en lapis-lazuli, la température rappelle celle d'un mois de juin à Paris."

Un petit piano leur est envoyé sur place par Pleyel.


Arrive la saison des pluies. Chopin tousse de plus en plus. Il consulte à trois reprises et écrit à son ami Fontana : « Le premier médecin dit que je crèverai, le deuxième dit que je crèverai, le troisième a dit que j'étais déjà crevé…"


Gomez, le propriétaire de la villa, finit par le mettre à la porte avec George et ses enfants, lui demandant de payer le remplacement des meubles qu’il brûlerait et les peintures qu’il referait.

Les parias trouvent alors refuge dans un endroit inattendu qui accueillait les gens en détresse et les isolait du monde tout en les rapprochant du Ciel : la chartreuse de Valdemosa, dressée dans une vallée solitaire au dessus de Palma.


" Ma cellule a la forme d'un grand cercueil " écrit Chopin.


C’est là qu’il va entreprendre la composition de son magnifique recueil de Préludes. Il les écrira en suivant une progression de quinte en quinte (C’est d’intervalle musical qu’il s’agit, non de toux!) : do majeur, sol majeur, ré majeur, etc.

Chopin est face à sa musique.

George Sand raconte : « Chopin ne peut vaincre l'inquiétude de son imagination. Le cloître est pour lui plein de terreur et de fantômes. Plusieurs Préludes sont nés de ses angoisses. Il y en a un qui lui vint par une soirée de pluie. Sa musique était pleine des gouttes d’eau qui résonnaient sur les tuiles sonores de la chartreuse... »


S’agit-il du prélude numéro 6 ou du numéro 15 ? Les avis sont partagés. Les deux préludes présentent des notes insistantes qui semblent s’égoutter… 

L’état de santé de Chopin empire. Chopin et George finissent par décider de plier bagage. Se voyant refuser une voiture pour regagner Palma, ils effectuent le trajet sur une charrette, puis la traversée maritime sur un bateau à bestiaux. Dans une valise, Chopin tient précieusement la partition de ses Préludes...


Qui aujourd’hui, entendant le long cortège de ces pages orageuses ou sereines, imagine derrière elles les quatre murs d’une chartreuse où Chopin s’était isolé des hommes ?


André PEYREGNE